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Eilat, 3 juin
En dépit de l’heure matinale, Village Beach, une immense plage de sable fin située à quelques kilomètres au sud d’Eilat, est déjà envahie par un essaim de touristes, amateurs de bains de soleil ou de sports aquatiques. Trois hommes à la carrure d’athlètes, vêtus de tenues de sport sombres, équipés de casques avec microphone incorporé, sont postés à des points strictement équidistants à partir desquels ils peuvent, à l’aide de leurs puissantes jumelles, surveiller l’intégralité de la plage. Leur absolue immobilité les fait ressembler à trois grands et massifs piquets que l’on aurait plantés sur la plage au cours de la nuit, mais ce n’est pour autant qu’ils passent inaperçus aux yeux des touristes israéliens. La seule présence de ces silhouettes est synonyme de danger potentiel mais ne provoque bizarrement aucun signe d’affolement, nul mouvement de panique. Les touristes continuent de nager dans les eaux transparentes du golfe d’Aqaba ou de lézarder au soleil brûlant.
A quelques encablures du rivage, le grand maître Boris Bronstein crawle avec énergie, celle-là même qu’il mettrait à conduire une partie d’échecs. Demain, envisage-t-il, il s’équipera d’un masque de plongée afin d’observer les fonds tapissés de coraux au sein desquels évoluent des nuées de poissons multicolores. Non loin du nageur, embarqués sur un Zodiac ballotté par les flots, dont les moteurs tournent au ralenti, deux autres hommes en noir fument nonchalamment des cigarettes, sans le quitter du regard.
Ces cinq hommes, appartenant pour certains au corps des commandos de marine de Tsahal et pour d’autres au Mossad, ont été détachés à la garde rapprochée du grand maître d’échecs qui passe une semaine de retraite solitaire dans la station balnéaire avant son rendez-vous avec l’Histoire. Cette surveillance de tous les instants irrite profondément Boris Bronstein car elle attente à sa quiète solitude ainsi qu’à sa faculté de concentration. Que sa personne physique soit exposée à de réels dangers n’entre pas dans ses schémas mentaux. Il n’est pas de l’espèce de ces joueurs aux syndromes confusionnels et paranoïdes : pour lui, les seules menaces qu’il encourt sont celles qui se présentent sur l’échiquier.
Dès que le nom du challenger de Bronstein, Champion du monde en titre, fut connu, un émissaire du gouvernement israélien le contacta par téléphone afin de le rencontrer. Le grand maître renâcla mais son interlocuteur lui fit comprendre qu’il n’avait pas le choix car le match à venir prenait l’allure d’une véritable affaire d’État. La pression que le porte-parole exerça sur lui était si insistante qu’il finit par accepter un rendez-vous le soir même. L’homme ne s’était présenté, n’avait décliné ni son nom, ni sa fonction. Bronstein présuma qu’il avait affaire à un agent du Mossad, ce qui ne fit qu’accroître sa contrariété.
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